Nous sommes tous, et votre serviteur reconnaît l'être lui-même, littéralement scotchés ces jours-ci à une double actualité dominante : celle de l'atroce conflit ukrainien, d'une part, celle de notre lamentable "non-campagne" présidentielle d'autre part. Ma prochaine chronique évoquera, à ce sujet, le vote sanction qui semble se dessiner à l'encontre de l'arrogante désinvolture du candidat sortant.
Depuis plusieurs années, je publie dans Présent, quotidien auquel on peut s'abonner sur la toile, et qui est de nouveau disponible en kiosque, une chronique internationale quinzomadaire, paraissant un mercredi sur deux. Elle est volontairement consacrée à une actualité "différente". Elle permet d'entrevoir des lignes de force où s'affrontent les "blocs", mais où l'on perçoit aussi, et d'abord, la diversité des nations.
Une fois n'est pas coutume, je propose ici, exceptionnellement, aux lecteurs de L'Insolent, de découvrir ci-dessous ou en téléchargement, ce Tour du Monde en date du 6 avril. Se revendiquant de Philéas Fogg, votre chroniqueur et serviteur réalise régulièrement en moins de 15 jours ce que celui-ci aurait, à en croire Jules Verne, accompli en 80 jours. On n'arrête pas le progrès. Si cette présentation vous intéresse, vous pourrez la suivre dans Présent.
Voici donc ce [petit] "Tour du Monde" à la date du 6 avril...

Chine : les nouveaux traités inégaux...
Le 31 mars à Honiara était signé, par Manasseh Sogavare chef du gouvernement local, un accord de défense mutuelle entre les autorités des îles Salomon et de la République populaire de Chine.
Depuis des décennies, l'historiographie complaisante prochinoise décrit avec émotion l'humiliation subie au XIXe siècle par l'Empire du Milieu. Celle-ci résultait, nous dit-on, des fameux traités inégaux signés par la dynastie mandchoue des Qing avec l'Angleterre et la France.
Aujourd'hui, Pékin se réclame d'un ordre international nouveau. Ce régime prétend conclure des accords parfaitement respectueux de l'identité, en l'occurrence mélanésienne, de ses interlocuteurs. Et ainsi, avec les îles Salomon, 670 000 habitants, comme avec le Vanuatu voisin, ce serait sur un pied d'égalité que l'on a négocié.
Le pays est surendetté. Le chef du gouvernement salomonais, Manasseh Sogavare a résolument orienté la politique étrangère de son pays vers la Chine. Ceci se traduira, en 2019, par la rupture avec Taïwan, au nom du concept d’une seule Chine et l’adhésion au programme des prétendues nouvelles routes de la soie.
Aux termes de leur accord, les dirigeants de Pékin seront pourtant autorisés à envoyer des navires militaires dans ce petit archipel océanien, pour y effectuer des réapprovisionnements logistiques et des escales. En outre, Pékin pourra déployer, à la demande des dirigeants mélanésiens, des forces de sécurité afin d’y assurer le maintien de l’ordre social ainsi que la protection du personnel chinois et des principaux projets de l’archipel.
À Canberra et Wellington, Australiens et Néo-Zélandais s’en inquiètent. Les îles Salomon occupent en effet une position permettant de maintenir les lignes d’approvisionnement entre les États-Unis et l’Australie, ainsi que de la Nouvelle-Zélande et le Nouvelle-Calédonie française. L’accord risque de déstabiliser les institutions et les arrangements actuels qui assurent depuis longtemps la sécurité de la région du Pacifique.
La France, quant à elle, semble demeurer insouciante. Car l'État central parisien, lui-même surendetté, verse cependant une aide au développement à la Chine communiste-esclavagiste deuxième puissance économique du monde. Selon le rapporteur de notre loi de finances pour 2022, cet immense pays figure au neuvième rang des bénéficiaires de l'aide publique au développement (APD) bilatérale, devant des pays comme le Burkina-Faso ou le Cameroun.
Afghanistan : ces chers talibans
Le 24 mars à l'aéroport de Kaboul, débarquait l'omniprésent ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi. Il venait rencontrer les dirigeants talibans. Lui-même arrivait tout droit d'Islamabad, où les autorités pakistanaises avaient accueilli, pendant deux jours, une réunion des 57 États-Membres de l'Organisation de la Coopération islamique.
La veille de l'arrivée de ce brillant diplomate dans l'Émirat islamique, le 23 mars, l'Afghanistan se préparait la rentrée des classes. Or, on venait d'apprendre que, contredisant leurs engagements publics, les talibans ont décidé que les filles de 12 ans et plus ne seraient pas acceptées à l'école. Elles n'y sont donc plus retournées depuis la chute de Kaboul en août 2021.
Mais le régime appelle à une aide économique et la généreuse Chine y consentira. Bénévolement ?
Cuba : à la recherche d'une nouvelle ligne
Le 23 mars à La Havane on apprenait la teneur d'une lettre de félicitations du camarade Xi Jinping secrétaire général du Parti communiste chinois. Celui-ci saluait le quatrième séminaire de théorie scellant le rapprochement idéologique avec le Parti communiste de Cuba.
Depuis l'arrivée au pouvoir du castrisme en 1959, l'île communiste, que la gauche française adore, représente le principal pivot d'implantation révolutionnaire à travers l'ensemble de l'Amérique latine, du Mexique à la Terre de Feu. Le parti unique au pouvoir n'y est devenu officiellement communiste qu'en 1965. Successivement il a vécu aux crochets : d'abord des subsides de l'URSS ; puis après l'effondrement de celle-ci, ce fut au tour Venezuela de Chavez, qui vivait encore richement sur la rente du pétrole ; et maintenant c'est la finance chinoise qui vient au secours de cette économie ruinée par ce régime.
Or, contrairement à leurs prédécesseurs, les Chinois savent compter. Ils s'apprêtent donc à imposer aux Cubains une réforme économique. Ils en contrôleront étroitement l'application par l'instrument de "l'amitié" des deux partis, car ceux-ci suivront une ligne désormais commune.
Le 27 mars, étaient publiés à Pékin deux livres sur la pensée économique ouvertement marxiste de Xi Jinping. Ils seront sans doute indispensables au gris apparatchik cubain Diaz-Canel. Le successeur des frères Castro, lesquels rôtissent en enfer, sera chargé de transmettre les consignes aux pays de l'ALBA. Cette "alliance bolivarienne" regroupe déjà, outre Cuba et le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua et le Suriname, mais aussi une poussière de petits pays insulaires : Antigua-et-Barbuda, la Dominique, Grenade, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines. La victoire de Boric au Chili, le retour des péronistes de gauche en Argentine, l'éventualité d'une victoire de Gustavo Petro en Colombie, ou la présence de "AMLO" Obrador au pouvoir à Mexico, leur ouvre de belles perspectives.
Kurdistan : une petite puissance concurrente
Le 29 mars à Dubaï se tenait un sommet proche-oriental des gouvernements liés au pétrole. Or, aux côtés du prince Abdelaziz ben Salman al-Saoud, ministre saoudien de l’énergie, et de Souhail ben Mohammad al-Mazrouei, ministre de l’Énergie et des Infrastructures des Émirats arabes unis, siégeait Masrour Barzani, premier ministre régional du Kurdistan irakien. Dans la pratique en effet ce qui n'est toujours qu'une province irakienne tend à s'ériger en puissance indépendante, essentiellement grâce à l'exploitation des hydrocarbures.
Or, ni la Turquie, qui craint toujours l'embrasement du Kurdistan turc, ni l'Iran ne l'entendent de cette oreille. Mais le régime des mollahs obéit ici à de tout autres motivations.
Téhéran a ainsi ouvertement revendiqué l'attaque menée, à Erbil le 13 mars, par les Gardiens de la Révolution. Dans la capitale du Kurdistan irakien c'est une douzaine de missiles balistiques qui ont été tirés depuis l’Iran. Ils visaient notamment un complexe résidentiel appartenant à un magnat kurde du pétrole, Baz Karim Barzanji.
Le prétexte invoqué serait celui d'un imaginaire « centre stratégique » d’Israël. En réalité l’Iran réagissait ainsi, à sa manière terroriste, au projet en cours : celui d’acheminer le gaz naturel du Kurdistan irakien vers la Turquie et l’Europe. Pas question de laisser la petite puissance kurde naissante venir développer sa concurrence impie…
Pakistan – Turquie : un axe islamiste antioccidental
Le 3 avril à Islamabad, le président pakistanais Arif Alvi dissolvait l'Assemblée nationale à la demande du Premier ministre Imran Khan. Celui-ci, plus tôt dans la journée, avait prononcé un discours à la nation diffusé sur la télévision publique. Il avait déclaré avoir demandé cette dissolution car une puissance étrangère aurait ourdi un complot pour renverser son gouvernement.
Une motion de censure, en effet, a été déposée par les deux partis traditionnels, la Ligue musulmane et le Parti du peuple pakistanais qui disposent de la majorité des 342 sièges du parlement. Cette procédure est dénoncée ni plus ni moins comme une manœuvre des États-Unis. Le parti gouvernemental Pakistan Tehreek-e-Insaf party (PTI), minoritaire à l'Assemblée, avait donc défilé le 2 avril pour protester.
Cette crise s'inscrit dans une évolution de plus en plus marquée du Pakistan, qui tend à se rapprocher de la Chine et de la Russie. Nous avons évoqué cette dérive : dans in Présent N° 10065 daté du 23 février "Chinois, Pakistanais et Turcs font bloc contre l’Inde."; et in Présent N° 9832 du 24 mars 2021 "Un corridor stratégique" sur le choix Pékin de tracer une liaison ferroviaire de 460 km, entre la ville de originellement ouïgoure de Kachgar et le port pakistanais de Gwadar, afin d'accéder au Golfe arabo-persique.
Il faut souligner à cet égard que le Pakistanais Imran Khan et le Turc Erdogan marchent la main dans la main.
À la faveur de la guerre russo-ukrainienne, le gouvernement d'Ankara a su se présenter pour un allié "indispensable" de l'OTAN. Il a en effet fourni à l'armée ukrainienne d'excellents drones Bayraktar TB2, qui allaient infliger des pertes sensibles aux forces russes ce que nous soulignions dans Présent dès le 7 février (cf. N° 10055 daté du 9.2). Les lecteurs du Monde l'ont découvert le 4 mars. En vérité, ces équipements assez redoutables, produits par l'entreprise du gendre d'Erdogan, avaient déjà fait merveille dans la guerre de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie chrétienne.
En fait la clique politico-familiale au pouvoir à Ankara vend des armes. Elle n'est l'alliée que des islamistes et des nationalistes turcs qui partagent son projet de rétablissement d'un Empire musulman. N'appartenant ni à l'Europe ni à l'Occident, elle ne coopère au sein de l'OTAN qu'à la carte. Bien plus : depuis le pseudo coup d'État de 2016, c'est systématiquement que le gouvernement a procédé à l'épuration de l'armée.
Le 2 avril le ministère de la Défense se félicitait officiellement d'avoir, en 5 ans, purgé exactement 24 339 officiers jugés favorables à l'OTAN. 8 651 d'entre eux ont été dénoncés comme ayant participé au complot ... déjoué grâce à l'ami Poutine et imputé, sans aucune preuve, à la confrérie Hizmet dirigée par Fethullah Gülen, lui-même réfugié aux États-Unis. Cette organisation soufie parfaitement pacifique, en réalité fort peu représentée dans les forces armées, est systématiquement présentée comme "terroriste" sous le sigle inventé de FETÖ, "organisation terroriste de Fethullah Gülen"… Ce mensonge déconcertant, à peu près aussi crédible que le "danger nazi" en Ukraine est destiné à impressionner les Occidentaux.
Parallèlement, à la faveur du conflit avec l'Arménie l'axe Turquie-Pakistan s'emploie à satelliser l'Azerbaïdjan, s'appuyant sur le slogan "une nation, deux États". Aux dernières nouvelles, un protocole bilatéral en date du 25 mars a été soumis pour approbation au parlement d'Ankara. Il vise à renforcer les liens de sécurité entre les deux pays, la police turque ayant vocation à être habilitée à intervenir pour défendre le régime azéri du président Aliyev. La police anti-émeute turque Çevik Kuvvet, unité de quelque 30 000 hommes, pourrait ainsi légalement interviendrait en cas de besoin à Bakou comme elle le fait déjà dans son pays…
Quant à l'ordre intérieur de la Turquie elle-même, de récentes révélations du ministre de l'Intérieur de cet étrange "allié" de l'Occident méritent d'être soulignées : le 23 mars en effet, Süleyman Soylu était interviewé par la radio islamiste TVNet à propos du "Livre rouge" qu'il présenta comme la "constitution secrète" du pays. Répondant à une question du propagandiste gouvernemental Nedim Şener il expliqua que ce document officieux érige en doctrine que, désormais, l'ennemi c'est l'Occidental…
Il est temps de comprendre que le régime d'Erdogan a clairement choisi un camp: celui du projet de "l'Eurasie". Les naïfs Occidentaux qui se félicitent, à l'occasion de la crise d'Ukraine, du retour au bercail de leur alliée d'hier risquent fort de déchanter.

JG Malliarakis
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Téléchargement Tour-du-Monde 6 avril 2022
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