On pourrait déceler, peut-être, une once de naïveté dans la grande stratégie de Donald Trump à Washington, s’il pense venir à bout du gouvernement chinois, qu'il désigne pour son adversaire principal, par l’imposition unilatérale de droits de douane que payeront, en définitive, les consommateurs américains.
Les plus récentes nouvelles de Pékin font apparaître d’abord que, nonobstant la guerre commerciale qui leur est menée, les exportations chinoises ont connu en juillet une croissance atteignant 7,2 %. Ce chiffre est supérieur au taux de 5,8 % enregistré en juin et dépasse la fourchette de 4,5 à 5 prévus par le prochain plan quinquennal pour l'ensemble de l'économie.
La hausse des expéditions vers l'Europe, l'Afrique et l'Amérique latine a d’ores et déjà compensé l'impact des tarifs douaniers américains. Ceux-ci ont bien pu augmenter à hauteur de 17 %, les négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine n’ayant pas changé grand-chose. Pour Pékin, cette situation ressemble fort à une victoire.
Les menaces tarifaires de Trump semblent même avoir fait bondir les exportations chinoises. Rien n'a été entrepris non plus contre la domination de la Chine dans le secteur des terres rares, entravé par les réglementations écologistes en Europe. Cette surprenante résilience contredit divers indices négatifs de l’économie intérieure : ainsi le petit recul des indices de la production manufacturière 49.3 en juillet, contre 49.7 en juin.
Mais il ne faut jamais perdre de vue que le parti communiste chinois décide de tout à Pékin. C’est là le point essentiel que négligent constamment nos commentateurs occidentaux. Or, ce qui compte pour le Parti c’est avant tout l’accumulation de réserves financières développées grâce à l’exportation. Le niveau de vie réel du peuple n’est qu’une promesse lointaine, actuellement fixée à l’horizon 2035 où la consommation des classes moyennes du pays est supposée atteindre les standards des pays « moyennement développés ».
Ainsi, par exemple, les constructeurs chinois de véhicules électriques se tournent largement vers l'étranger pour leur croissance. Les difficultés économiques intérieures et les tensions sociales grandissantes, bien réelles quoique largement occultées, leur importent peu.
En fait, les commentateurs agréés de l’occident demeurent aveuglés par leur refus de tenir compte de la nature du régime.
Dans ce registre, on citera un premier exemple. Professeur à l’université jésuite de New York, un sinologue américain, Carl Minzner, accordait sentencieusement, en 2017, un entretien au quotidien parisien de référence Le Monde. C’était l’époque du XIXe congrès du parti, qui allait consacrer et pérenniser le pouvoir de Xi Jinping, secrétaire général promu en 2012.
Tout le propos de cet érudit personnage tendait à présenter le nouveau timonier, maître du pouvoir à Pékin, comme une sorte de restaurateur du modèle impérial. Il décrivait « l'Oncle Xi » comme fortement imprégné de confucianisme, comme un nationaliste indifférent à l’exportation de son modèle politique. Or, on se doit d’observer que c’est bien le matraquage systématique d’une telle vision qui induit les Occidentaux en erreur s’agissant de cet immense pays.
Personne ne peut certes contester son affirmation selon laquelle que « la Chine est en train de changer la politique mondiale. » Le fait s’est confirmé d’année en année. Mais il semble vraiment osé de prétendre, un peu plus loin dans le même entretien que « depuis l’accession de Xi Jinping à la direction du PCC en 2012, le gouvernement a pris une série de mesures concernant les défaillances les plus flagrantes du système légal chinois. »(1)⇓
C’est la même absurdité qu’un autre spécialiste, professeur à Sciences-Po, écrira lui aussi, en 2014 dans la très sérieuse Revue Française d’Administration Publique.(2)⇓
Si, au plénum d’octobre 2014, le comité central a pu prétendre consacrer ses travaux à la promotion de l’État de droit, la contradiction avec la situation réelle est flagrante. Par exemple on découvre assez régulièrement à l’étranger, et en France en particulier, des commissariats communistes chinois faisant la chasse aux opposants réfugiés y compris sur notre territoire. Ne parlons même pas des « prisons noires » où croupissent dans les provinces les gens qui déplaisent aux autorités locales et, à Pékin, ceux qui osent venir dans la capitale pour protester.
Accédant au pouvoir constitutionnel en 2013, le nouveau secrétaire général promu l’automne précédent, Xi Jinping, communiquait sur une prétendue abolition des camps de rééducation. Il mettait sans doute fin à la seule forme du laojiao. Celle-ci, avait été instituée en août 1957 par une directive de Mao sans aucune base légale. Mais cette opération pouvait être évaluée dès le départ comme un simple coup de com du nouveau maître du pouvoir.
Dix ans plus tôt l’équipe précédente, par la voix du premier ministre Wen Jiabao sous la présidence de Hu Jin Tao, avait procédé de la même manière à propos des centres de rétention de migrants. Au vu de cette expérience décevante, Jean-Philippe Béja soulignait ainsi, dès l’annonce de la fausse nouvelle claironnée par Xi Jinping : « Si la ‘rééducation par le travail‘ était effectivement abolie, ce sont ces 310 camps qui seraient supprimés (laojiao). Il resterait toutefois les camps de réforme par le travail où sont envoyés les personnes condamnées par les tribunaux (laogai). Quoi qu’il arrive, il restera donc des camps de travail en Chine. » (3)⇓
Et aujourd’hui on constate que Jean-Philippe Béja avait raison. Certes les détenus de ces camps ont bien été condamnés, sur une base désormais légale, conformément aux principes de « l'état de droit », sanctions prononcées par des tribunaux… mais au terme d’audiences qui durent entre 2 et 3 minutes… Et des millions de Chinois et de Ouïgours y sont astreints au travail forcé.
JG Malliarakis
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Apostilles
- cf.article du 17 octobre 2017, Propos recueillis par François Bougon, envoyé spécial à New York Avec Xi Jinping, « il y a une sorte de retour à un modèle impérial », Alors que le 19e congrès du Parti communiste chinois vient de s’ouvrir, le sinologue Carl Minzner analyse comment l’homme fort du pays a transformé l’exercice du pouvoir à Pékin. ⇑
- cf. Richard Balme. L’État chinois en action. Revue Française d’Administration Publique, 2014, 2 pp.297 - 304.]⇑
- cf. son article de janvier 2013 publié dans la revue Esprit : « Fin des camps de travail en Chine :une fausse nouvelle ? » .⇑
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