Aux temps de la soviétologie on ne se fixait pas sur la personnalité des dirigeants de l'URSS. On raisonnait plutôt, à tort ou à raison, sur les "concepts" : c'est ainsi que le "concept" Gorbatchev succéda en 1985, après la disparition de l'ectoplasme Tchernenko (mars 1985), qui avait succédé un beau jour à l'ancien chef du KGB Andropov (1982-1984), lui-même successeur du bureaucrate suprême Léonid Brejnev inamovible durant 15 ans (1977-1982).
Faudra-t-il désormais recourir à de telles figures fausses pour introduire une géométrie juste qu'on appellerait, pourquoi pas, droitologie ?
On se pâme ces temps-ci, en effet, autour de la question de l'union des droites. Certains seraient tentés d'applaudir, comme à un commencement, aux 8 % du "concept Bellamy". Après tout, ces voix conservatrices ont été obtenues, sans aucun [vrai] soutien, par un candidat [trop] bien élevé, sur une plateforme complètement décalée. Anachronique, on pouvait la juger, par-là même estimable.
Mais on préfère préempter la liquidation des fortes raisons, qui subsistent, et dissuadent de se rallier à un Jupiter de carton-pâte. On devrait donc réfléchir avant de se prononcer d'une façon trop péremptoire.
L'auteur de cette chronique reconnaît qu'il éprouve de longue date la nécessité, non seulement de la "droitologie", comme observation ; mais aussi qu'il souhaite l'union de droites clairement différentes. La constitution d'une véritable entente devrait donc prendre la forme, au départ, plutôt d'une confédération que d'une fédération : dans un pays où le scrutin fonctionne à deux tours, cela pourrait passer dans la pratique par un accord de désistement au second tour.
Doit-on, dès lors, se féliciter de la fin du bonapartisme? Si répandu dans ce malheureux Hexagone, il s'est toujours investi dans des programmes aux contours très flous, autour d'un homme. Il désigne lui-même par un mot fort significatif de sa tradition : celui de rassemblement.
C'est ainsi qu'en 1947, l'ancien chef de la France libre baptisa le premier parti portant le nom de RPF Rassemblement du peuple français. En 1999 son fidèle disciple Charles Pasqua créera un Rassemblement pour la France. Entre-temps, après avoir rompu avec Giscard d'Estaing et quitté l'hôtel Matignon en 1976, Jacques Chirac avait fondé en 1977 un parti dont l'appellation n'était apparue, jusque-là, que sous une forme ridicule voulue par le caricaturiste Sempé[1], Rassemblement Pour la République.
Dans cette tradition, qui devint successivement, après la défaite de Napoléon III, boulangiste (1885-1889), croix-de-feu (1927-1936), vaguement poujadiste (1954-1959), etc. avant de triompher avec le régime gaulliste (1958-1969) on aime à se retrouver en rangs serrés derrière un chef pensé comme providentiel. Or, de toute évidence, les derniers avatars de ce mythe ne se sont pas montrés "à la hauteur des attentes" comme on dit à la CGT.
Le premier RPF avait obtenu en 1951 un relatif succès électoral, plus de 4,12 millions de voix soit 22,3 % des suffrages et 121 députés sur 627. Mais il en avait espéré plus de 200, sur la base de scrutins municipaux antérieurs dans de nombreuses grandes villes. Il passait [alors] pour le parti américain. Il envoyait des volontaires pour la guerre de Corée jusqu'en 1953, époque où l'Armée française était engagée en Indochine, jusqu'en 1954.
Or, était intervenu l'épisode de la guerre scolaire, soldé par la loi dite des 3 B. Déposée par Charles Barangé[2] (1897-1985) député MRP du Maine-et-Loire, Baudry d'Asson, député héréditaire de Vendée alors étiqueté modéré, le projet fut soutenu par Edmond Barrachin (1900-1975) député de la Seine, membre du groupe RPF. Ce texte, reconnaissant pour la première fois le libre choix des familles, tendant à les libérer du monopole étatiste, était considéré par ses adversaires comme une aide à l'enseignement privé, majoritairement catholique, horresco referens, à l'époque. Il fut adopté par la Chambre des députés en septembre, et rendit durablement ingouvernable la IVe république. Socialistes SFIO et démocrates chrétiens du MRP ne pourront plus jamais par la suite participer à un gouvernement commun, à la grande joie des gaullistes. Rupture pérenne pour les uns, satisfaction éphémère pour les autres.
Et une autre séquence allait marquer la fracture du gaullisme : l'arrivée au pouvoir d'Antoine Pinay (1891-1994), président du Conseil en mars 1952. Il le restera jusqu'en décembre. Le ministre des Affaires étrangères s'appelait Robert Schuman. Certes, dans ce gouvernement personne n'est issu du RPF, mais la tentation grandit au sein du groupe parlementaire.
Le chef s'insurge : "je n'ai pas sauvé la France pour un Monsieur Pinay"[3]."Le Rassemblement" écrira plus tard son fondateur devint "une débandade". Il mettra fin à l'aventure en 1955, ayant commencé ce qu'on appela sa traversée du désert. La coupure entre droitiers et gaullistes de toujours s'était révélée inéluctable. Les fidèles se désigneront désormais comme républicains sociaux. Aux législatives de 1956, ils n'obtiendront plus que 586 000 voix soit 2,7 %.
Toutes proportions gardées, toutes les tentatives du même ordre ont, toutes, conduit au même scénario. La marche consulaire résonne d'abord à Marengo, puis se disloque après Waterloo, Sedan, Dien Bien Phu etc.
On ne renie donc pas ici la chose militaire en la déchargeant de toute couleur politique. La préoccupation civique pour la défense nationale fait partie de l'ADN de toutes les familles authentiquement de droite, autant chez les héritiers de La Rochejaquelein que chez les fidèles des princes d'Orléans.
L'illusion se dissipe : qu'elle laisse la place au pays réel.
JG Malliarakis
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Apostilles
[1] cf. son album "Rien n'est simple" heureusement complété par "Tout se complique"
[2] cf. Loi n°51-1140 du 28 septembre 1951 dite Barangé "instituant un compte spécial du Trésor destiné a la mise a la disposition de tout chef de famille, ayant des enfants recevant l'enseignement du premier degré, une allocation dont le montant est de 1 000 frs par enfant et par trimestre de scolarité. Cette allocation est mandatée à la caisse départementale scolaire"
[3] à noter que, de 1958 à 1960, l'ancien membre du Conseil national créé par le Maréchal Pétain fut ministre des Finances du général De Gaulle revenu au pouvoir. Il créa le Nouveau Franc et réussit, penddant cette courte période, à restaurer les comptes délabrés de l'État.
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