Ce 7 septembre devait être publiée une décision capitale de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe. Celle-ci devait trancher à propos des accords financiers tendant à la sauvegarde de l'Euro. Il s'agissait d'évaluer leur conformité au regard de la loi fondamentale de 1949. Ces dispositions étaient attaquées par un groupe de 25 députés de droite.
Or les juges ont agréé les orientations acceptées, notamment le 21 juillet, par la chancelière Angela Merkel. Celle-ci interprète l'événement, de manière bien compréhensible, comme une victoire personnelle.
Dans ce genre de circonstance on peut toujours retourner la proposition. Certains hésitent peut-être à nommer le vainqueur. Mais dans l'hypothèse inverse on ne douterait pas de l'identité du vaincu. Si la cour avait tranché autrement, on aurait pu parler d'un camouflet pour le gouvernement de Berlin, pour la coalition conservatrice et pour son chef. On ne manque pas de commenter de la sorte les 5 défaites de la droite allemande sur 6 élections régionales de l'année écoulée.
Ne pas perdre une bataille, pour un politique, équivaut toujours à un succès. Restera fin septembre à franchir l'obstacle du vote au Bundestag et au Bundesrat.
Il convient probablement de se féliciter, certes, du point de vue de l'Europe en général, de ce qu'une décision prise en commun soit confirmée.
Cependant "Le Monde" (1)⇓ écrit de manière certainement emphatique que "la justice allemande valide le plan d'aide à la Grèce". Tous les termes employés ici sonnent faux : il ne s'agit pas de "la justice", il ne s'agit pas d'un jugement de fond, il ne s'agit pas d'une "aide", il ne s'agit pas d'un pays, ou en tout cas pas de lui seulement, il ne s'agit pas de valider un plan.
On se gardera en effet de penser que les juges constitutionnels allemands ont donné un blanc-seing au gouvernement fédéral de leur pays pour agir désormais n'importe comment dans le processus en cours de renforcement des structures et des procédures de décision communautaires.
En particulier la cour de Karlsruhe, qui avait déjà mis en garde en 2009 contre le déficit de démocratie au sein des institutions européennes, rappelle que le pouvoir législatif et fiscal appartient, chez nos voisins, au parlement. S'agissant de l'impôt, le principe remonte pour la France au XIVe siècle et il a donné lieu à l'apparition des États Généraux. Que formellement la tradition bonapartiste dominante de la Ve république ait tendu à ramener les assemblées à un rôle de chambre d'enregistrement ne semble séduire personne outre-Rhin.
Institué en 1951 le Bundesverfassunggericht, Tribunal constitutionnel fédéral a jugé en un demi-siècle plus de 150 000 recours de particuliers contre des textes considérés comme abusifs par les plaignants. Actuellement présidé par le professeur Hans-Jürgen Papier il juge aussi des matières plus graves, comme l'interdiction du parti communiste en 1956 (2)⇓ . Sa jurisprudence a conduit à l'abolition en 1997 de l'impôt sur la fortune. Mais il a toujours fait preuve de pragmatisme, de rigueur et de sens des responsabilités. On ne peut pas en dire autant de notre Conseil constitutionnel.
Nous nous trouvons au bout du compte dans une situation critique.
On nous a menti, depuis 2009, autour du programme nécessaire au maintien de la Grèce dans la zone euro et qui se révèle indispensable pour d'autres pays.
On cherche à nous dissimuler maintenant l'ampleur de la crise italienne.
Il faut cet égard lire le New York Times (3)⇓ pour apprendre vraiment et clairement ce qui se prépare pour l'Europe : un fédéralisme exclusivement porté par le moteur financier.
Rappelons ici que l'Histoire ne nous donne pratiquement l'exemple d'aucune construction de ce type.
Puisqu'on va jusqu'à parler, à nouveau, d'un projet d'États-Unis d'Europe on mentionnera que la Réserve fédérale américaine ne date que de 1913, alors que la Déclaration d'indépendance des 13 colonies insurgées date de 1776, et que les États du sud n'ont cessé de croire qu'il s'agissait d'une Confédération de territoires souverains qu'au lendemain de la terrible bataille de Gettysburg de 1863.
Et dans le cas précis on n'envisage plus seulement une monnaie unique, se voulant concurrente du dollar : on parle de mutuelliser les dettes, c'est-à-dire de réaliser au niveau du continent ce que même la république jacobine, si centralisée par ailleurs, ne pratique pas avec ses collectivités territoriales tout en ayant inscrit récemment dans sa constitution un principe flou de péréquation.
Soulignons-le, à cet égard : les départements et les municipalités françaises surendettées vont bientôt surajouter leurs difficultés au fameux risque souverain. Or leurs gestionnaires imprudents n'ont pas eu recours à des produits de l'agence France-Trésor. Ils ont conclu des prêts bancaires. Ces contrats sont considérés aujourd'hui comme toxiques parce qu'indexés par exemple sur le franc suisse. Souvent négociés par des élus communistes, ils ont recouru à des opérateurs tels que Dexia, le principal établissement belge qui alimente 32 % de ce marché.
Pourtant personne n'envisage aujourd'hui, par exemple, un plan d'aide au département de la Seine-Saint-Denis présidé par le socialiste Bartolone qui a hérité de cette situation.
En Europe, l'actuel système mou associe à la fois la technocratie et les équipes intergouvernementales qui accaparent les décisions au nom des peuples. Si l'on n'y prend pas garde il continuera de mettre la charrue avant les bœufs. Or, on risque de développer une situation comparable à celle de la Belgique d'aujourd'hui, ou même de la Yougoslavie avant 1991. Certes les élites y trouveront provisoirement et passagèrement leur compte et les banques paraîtront sauvées.
Mais dans la mesure où l'Europe est une famille de peuples et non un seul peuple, le sentiment de la redistribution introduirait de l'antipathie au lieu de l'empathie.
Or c'est cette dernière, fondée sur une culture commune, qui fonde la légitimité du rapprochement des peuples européens.
Le coût de la redistribution au contraire peut devenir un puissant facteur d'incompréhension, de polémique et de division.
À cette question, une France intelligente et active aurait pu contribuer, par le passé, à proposer une réponse. On doit craindre hélas que cette hypothèse ait beaucoup perdu de son actualité et même de sa vraisemblance.
Depuis l'époque des traités de Maastricht (1991), d'Amsterdam (1997), Nice (2000), du projet avorté de 2005 légèrement amendé pour aboutir à celui de Lisbonne, il est progressivement devenu perceptible que les concepteurs parisiens de ces accords trop compliqués, qu'il s'agisse de Delors, de Lamy, de Juppé, de Giscard ou de Trichet n'arrivaient plus à la cheville des pères fondateurs auxquels sont associés les noms de Jean Monnet et de Robert Schuman.
Aujourd'hui la balle semble plutôt dans le camp des sages de la politique allemande, c'est-à-dire les anciens chanceliers, Kohl, Schroeder et Schmidt avec le garde-fou doctrinal et pratique de la cour de Karlsruhe. À nous de le comprendre et d'y répondre de ce côté-ci du Rhin.
JG Malliarakis
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