En publiant et commentant le texte ci-dessous je ne cherche ni à soutenir à prendre parti contre l'initiative du premier ministre socialiste athénien Georges Papandréou [considérée localement par l'opposition comme un chantage et une "erreur fatale"]. Je souhaite simplement faire part à mes lecteurs d'observations qui me paraissent, plus généralement, intéressantes et même pertinentes, au-delà de la crise actuelle. Elles ont été écrites, avant la rencontre de Cannes du 2 novembre au soir, et avant le vote du parlement grec. Et elles ont été et publiées dans le quotidien considéré comme le plus sérieux Outre-Rhin, au sein d'une presse dont on cite en général à Paris la feuille la plus stupide, probablement parce qu'elle publie des images, comme son nom l'indique Bild, et son édition du dimanche Bild am Sonntag.
On trouvera donc ici ce qu'imprime la Frankfurter Allgemeine Zeitung en date du 2 novembre. Leur auteur Frank Schirrmacher, dénonçant la démocratie dévaluée, se trouve être le rédacteur en chef du grand journal libéral de Francfort.
De nos jours, écrit-il, celui qui souhaite consulter son peuple est considéré comme une menace pour toute l'Europe. Tel est le message des marchés, et des politiques aussi depuis le 31 octobre, dénonce le rédacteur en chef de la Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Deux jours, poursuit Schirrmacher, c’est le temps qu’aura tenu le sentiment apparent de stabilité retrouvée des élites européennes. Deux jours entre l’image de la matriarche Merkel, vers laquelle le monde entier était tourné, et celle de la dépression. Un clinicien pourrait nous dire de quoi il retourne : c’est une pathologie. Il pourrait nous décrire à quel point la psyché collective est malade, à quel point les fantasmes de grandeur et de confiance en soi qu’elle engendre sont faux et trompeurs.
Consternation, note-t-il, en Allemagne, en Finlande, en France, même en Angleterre.
Sur ce point cependant je ne suis pas certain que Frank Schirrmacher évoque la scène totale. En effet David Cameron, tenu à l'écart de la réunion de Bruxelles, parle désormais de l'intention de la Grande-Bretagne de «se constituer en État-pivot d'une future zone non-euro.» Il l'a déclaré explicitement le 28 octobre en Australie au sommet du Commonwealth.
L'idée avait été lancée le 10 octobre par l’ancien ministre des Affaires étrangères britannique David Owen (1)⇓. Elle fait aujourd'hui son chemin. Elle a sérieusement progressé après la mise à l'écart le 26 des 10 pays ayant conservé leurs monnaies nationales.
De son côté le président du groupe socialiste au Parlement européen Martin Schulz, voit "une Union européenne partagée en trois :
- la France et l'Allemagne,
- le reste de la zone euro,
- et les États ayant conservé leur monnaie nationale".
À Bucarest, l'Association des hommes d'affaires roumains a déjà proposé à son gouvernement de prendre l'initiative de structurer ce "groupe". Évidemment un tel troisième ensemble éprouverait quelques difficultés à assurer "l'unité d'une telle zone". Car "le modèle nordique, pro-social, du Danemark et de la Suède, ne s'accorde pas avec le modèle néolibéral des pays de l'Est, et le statut de Londres comme contributeur net au budget de l'Union européenne n'a rien à voir avec celui de bénéficiaire de la politique de cohésion, qui est propre aux peuples de l'Est", note le journal bucarestois Adevarul qui rapporte cette proposition.
Consternation, sur les marchés financiers et dans les banques, observe cependant Frank Schirrmacher, consternation parce que le Premier ministre grec Georges Papandréou envisage un référendum pour répondre à une question décisive sur le sort de son pays.
Minute après minute, on a pu voir, ce mardi [1er novembre, où l'article était écrit], les banquiers et les politiques brandir la menace d’un effondrement boursier.
Le message était clair : si les Grecs disent oui, c’est qu’ils sont idiots. Quant à Papandréou, c’est une tête brûlée, puisqu’il leur a posé la question.
Pourtant, avant que ne s’accélère la spirale de la panique, il serait judicieux de prendre un peu de recul pour mieux comprendre ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux. C’est le spectacle de la dégénérescence des valeurs mêmes que l’Europe était autrefois censée incarner.
Les principes moraux détruits au profit de la finance tend à démontrer Frank Schirrmacher.
Sur les marchés financiers, certains protagonistes analysent sans sourciller l’histoire de cette déchéance annoncée. Le Daily Telegraph britannique évoque (2)⇓ une plaisanterie qui aurait cours dans les cercles financiers, et manifestement aussi au sein du gouvernement britannique : ce serait bien si une junte militaire prenait le pouvoir en Grèce, car aucune junte militaire ne saurait être membre de l’Union européenne. Et Forbes, qui n’est tout de même pas n’importe qui dans le monde de la finance, va un peu plus loin (3)⇓:"Cette plaisanterie est d’autant plus triste et amère qu’elle serait, pour tout dire, si l’on fait abstraction du léger problème de la transformation de la Grèce en dictature militaire, une bonne solution pour le pays."
Il n’est pas nécessaire de connaître, poursuit encore l'article, tous les liens de cette plaisanterie avec le subconscient pour comprendre que l’on est en train d’assister à la destruction massive des principes moraux nés de l’après-guerre, au nom d’une raison économique et financière supérieure. De tels processus se développent en sous-main, ils œuvrent à la lisière de la conscience, parfois pendant des décennies, jusqu’à accoucher d’une nouvelle idéologie. Il en toujours été ainsi lors des phases d’incubation des grandes crises autoritaires du XXe siècle.
Il nous faut alors noter ce qu’a dit Papandréou, ce qui a résonné aux oreilles de l’Europe comme les divagations d’un aliéné imprévisible : "La volonté du peuple s’imposera à nous." Si le peuple rejette le nouvel accord avec l’Union Européenne, "il ne sera pas adopté".
En Allemagne, souvenons-nous, il y a encore quelques jours, rappelle Frank Schirrmacher, on entendait par démocratie la sanction du législatif. Imposée par la Cour constitutionnelle, et acclamée par tous les partis. Pour cette raison, il avait même fallu ajourner un sommet de l’Union européenne. Aujourd’hui, rien de tout cela ne vaut plus pour la Grèce.
Les politiques paniquent, observe le rédacteur en chef de la Franfurter Allgemeine Zeitung parce que les marchés paniquent
Qu’y a-t-il d’insupportable dans l’initiative grecque ? Réponse : que le Premier ministre soumette le sort de son pays au jugement de son propre peuple. Devant une telle décision, les soi-disant citoyens économes modèles que sont les Allemands et leurs dirigeants politiques paniquent, mais uniquement parce que les marchés financiers paniquent. Car tous sont désormais prisonniers des prophéties des marchés avant même qu’elles ne soient exprimées.
Il est de plus en plus évident que la crise que traverse l’Europe n’est pas un trouble passager mais l’expression d’une lutte pour la suprématie entre pouvoir économique et pouvoir politique. Ce dernier a déjà perdu énormément de terrain mais les choses s’accélèrent aujourd’hui. L’incompréhension totale que suscite le geste de Papandréou est également une incompréhension de l’espace public démocratique lui-même, et du fait que la démocratie a un prix qu’il faut être prêt à accepter.
Ne voyons-nous pas que nous laissons désormais des processus démocratiques à l’appréciation des agences de notation, des analystes et autres groupements bancaires ? Ces dernières 24 heures, tous ces acteurs ont été assaillis de questions, comme s’ils avaient quoi que ce soit à dire sur la volonté du peuple grec de décider de son propre sort.
Papandréou montre une voie à l'Europe, cherche à démontrer Frank Schirrmacher.
La prétendue rationalité des mécanismes financiers a révélé de vieux atavismes inconscients, constate-t-il. Les discours consistant à traiter tout un peuple d’escrocs et de fainéants semblaient avoir disparu en même temps que le nationalisme. On assiste aujourd’hui à un retour de cette mentalité avec "preuves raisonnables" à l’appui.
La déformation du parlementarisme soumis aux lois du marché, souligne le journaliste allemand, ne justifie pas seulement les décisions du peuple en tant que "législateur extraordinaire" ; dans le cas de la Grèce, elle oblige les citoyens à exprimer leur volonté. En Allemagne, tous les députés qui suivent ce que leur dicte leur conscience peuvent être certains qu’on ne reverra pas leur "tête" de sitôt. Ce qui est arrivé à un député allemand en tant qu’individu, touchera également un Etat et bientôt toute l’Europe.
Papandréou n’a pas seulement raison de faire ce qu’il fait, considère Frank Schirrmacher, il montre aussi une voie à l’Europe. L’Europe devrait tout faire pour convaincre les Grecs que sa solution est la bonne. [J'ajoute que d'ailleurs que dans le cas précis, rien ne prouve qu'il en soit ainsi] Pour cela, elle devrait aussi s’en convaincre. Pour les autres pays européens aussi endettés que la Grèce, il s’agirait d’un excellent moyen de faire preuve de lucidité et de s’assurer du prix qu’ils sont prêts à payer…
Rien ne nous certifie, certes, en ce 3 novembre où le parlement grec délibère, que le referendum grec aura lieu. La procédure elle-même semble inappropriée, et le calendrier, même pour «consulter le peuple.» Voilà ce que, personnellement, je constate.
Pour ma part, après avoir si longuement cité la FAZ, je me permets donc seulement de demander à mes lecteurs de réfléchir à la voie que les Français veulent suivre pour leur pays : de plus en plus de dettes, de plus en plus de taxations, donc aussi de plus en plus de fraude, de plus en plus de gaspillages publics et de clientélisme, ou, au contraire, une voie de bon sens et de redressement, par la libération fiscale (4)⇓, si l'on désire éviter le sort des collectivités surendettés ?
JG Malliarakis

Post scriptum À un correspond qui me fait remarquer que : Le référendum a deux inconvénients par rapport à un vote au Parlement: 1) il est très lent, alors que dans une crise de ce genre il faut aller vite;
2) il ne permet aucune discussion, c'est oui ou non à une question qui sera toujours imparfaite. A mon humble avis le référendun n'est pas fait pour trancher rapidement dans une situation de crise. Le Parlement s'y prête bien mieux.
Je réponds : Techniquement, je suis d'accord avec vous sur ce point précis. De plus, en l'occurrence, le gouvernement Papandréou vit [sans doute] ses dernières heures.
Je ne pense donc pas personnellement que "Papandréou ait raison".
Mais il y a un problème plus général : nos démocraties ont peur des peuples et je trouve intéressant que la FAZ l'imprime. JGM
Apostilles
- cf. cf le Financial Times du 10 octobre. ⇑
- cf Daily Telegraph du 25 octobre.⇑
- cf Forbes du 26 octobre.⇑
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Le titre de ce livre bleu "Pour une libération fiscale" en fera, notamment, une réponse au livre rouge de l'équipe de gauche dirigée par Thomas Piketty "Pour une révolution fiscale". Il soulignera les voies de réformes possibles de l'archaïque fiscalité française, en fonction des réductions nécessaires de la dépense publique. Ce livre de 190 pages environ paraîtra fin janvier 2012, pour tenir compte de la loi de finances et de la loi de sécurité sociale qui auront été promulguées le 31 décembre 2011. Son prix de vente sera de 20 euros. On peut y souscrire dès maintenant au prix de 15 euros, port compris.
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