La direction de la CFDT avait commis, une fois de plus, une grosse maladresse en acceptant le principe d'un défilé intersyndical ce 1er mai. Au moment où nous écrivons ces lignes, ce 25 avril, la réunion de son bureau national va se tenir. L'équipe de François Chérèque cherchera sans doute à trancher devant le fait nouveau du grand frère cégétiste.
D'une manière incontestablement contraire au statut théorique de la centrale les camarades de Bernard Thibault ont décidé de prendre parti en faveur de François Hollande.
Ou plutôt, le président sortant n'ayant pas cédé sur toutes les préoccupations les plus inavouables du syndicat communiste, ayant même osé rappeler la position de Thibault dans l'appareil stalinien, c'est lui que, le 6 mai, les camarades syndiqués sont appelés à chasser du pouvoir. Appel clair et net à voter Hollande.
Il s'agit, très exactement de la ligne défendue par Mélenchon, et pour cause.
Certains ne manqueront pas d'invoquer, une fois de plus, un vieil argument. Non sans quelque raison apparente on nous dira qu'on se trouve en présence d'une violation de ce qu'on appelle pompeusement "la charte d'Amiens de 1906".
Ce document, nous assure-t-on imperturbablement, garantirait l'apolitisme du syndicat. Curieusement, outre la CGT, et la FSU communiste majoritaire depuis 1993 dans l'Éducation Nationale d'autres mouvements se revendiquent aussi de ce texte, que bien entendu personne ne consulte jamais. (1)⇓ Y souscrivent ainsi : Force ouvrière, l’UNSA, la CNT anarchiste, et "l’Union syndicale Solidaire", issue de la rencontre de décembre 1981, des dix "fédérations autonomes".
Il s'agissait alors de la FGSOA des salariés des organisations agricoles, du SNUI des agents du ministère des Finances, de la FGAF des fonctionnaires, de la FADN de la défense nationale, de la FGAAC du rail, de la FAT des transports urbains,
SNCTA des contrôleurs du trafic aérien, SNJ des journalistes, FASP des policiers. Ce regroupement hétéroclite, se gauchisant de plus en plus, donnera en partie naissance à SUD, la plus part des modérés rejoignant l'UNSA.
Cette vieille lune de l'apolitisme, que l'on croit gravé dans le marbre de la charte d'Amiens, mérite donc d'être revisitée. Et ceci me semble susceptible d'alimenter d'importantes confrontations à venir.
Que le second tour envoie ou non un socialiste à l'Élysée on verra la CGT remonter au créneau contre toutes les nécessaires politiques de rigueur que l'on appellera invariablement, avec la complicité médiatique, "austérité".
Et contrairement à ce que nous avons toujours entendu, la fameuse déclaration de 1906 ne sera pas violée mais au contraire la nouvelle dialectique cégétiste saura s'en servir sans aucune pudeur.
Ce document n'a jamais servi, en effet, à la fondation de la centrale qui remonte à 1895, au congrès constitutif de Limoges.
Onze années plus tard, lors de son neuvième congrès, elle adoptera un compromis entre les diverses tendances qui l'agitaient alors. Depuis l'origine les anarchistes et autres syndicalistes-révolutionnaires refusaient de rejoindre le parti socialiste SFIO, d'avant le congrès de Tours, qui leur semblait trop réformiste.
Voici par conséquent le passage essentiel de la motion adoptée à la quasi-unanimité, 843 voix pour, 8 contre et 1 abstention :
"La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat […] Le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe en dehors."
Ce passage permet de revendiquer l’indépendance totale, en effet, vis-à-vis des appareils partisans qui déplaisent.
En revanche il n'interdit pas à la CGT de se poser en force politique, dirigeante, de fait appelée à prendre la tête de la lutte en marge du pouvoir social-démocrate de Hollande, au nom du "mouvement social".
Et dans diverses déclarations, aussi bien le camarade Mélenchon ex-lambertiste que le camarade Laurent ex-stalinien ont admis sans hésitation que leur action politique consistera demain à "soutenir le mouvement social".
Le discours du chef et candidat du front de gauche, sur la plage du Prado le 14 avril, comprenaient certes quelques beaux accents internationalistes et pro-maghrebins ; ils nous rappelaient l'époque où d'autres disaient que "la Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris", témoignant sans doute de la nostalgie inguérissable de ce natif de Tanger.
Mais, plus concrètement et prosaïquement, il annonçait la certitude de nouvelles opérations de blocages cégétistes, bénéficiant d'un appui indéfectible. Ceux-ci ne se déploieront pas seulement sur les docks de Marseille. On les rencontrera aussi partout où les successeurs bientôt désignés du camarade Thibault jugeront que la "mondialisation néolibérale", comme ils disent, menace ce qu'ils appellent "l'emploi".
On se demande quand même quelle énergie le capitaine de pédalo et son porte-parole Moscovici sauront leur opposer, si la gauche l'emporte le 6 mai dans les urnes, en attendant de se retrouver très vite, dans la rue.
JG Malliarakis
Apostilles
- Le nom de charte d'Amiens sera inventé par un article paru, deux ans plus tard, en 1908, dans L'Humanité.⇑
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